Premier cours pour mon nouvel élève ^o^

C’était une matinée de fin de printemps, qui jetait ses faibles rayons de soleil au travers de la fenêtre du local expérimental. Tout en observant les nuages défilants à travers le ciel, ballotant leurs ombres sur les murs du local, je sifflotais une légère mélodie, ce qui faisait apparemment beaucoup rire la crabouille encagée qui se trouvait en face de moi. Je l’avais capturée la veille dans le marais, et cela non sans mal. A vrai dire, j’avais passé la matinée d’hier à courir après des crabouilles, plongé dans l’eau jusqu’aux genoux, et tombant à plusieurs reprises. Les satanées bestioles, quant à elle, ne cessaient de sauter de droite à gauche, en se moquant, bien entendu, de mes vaines tentatives de capture… Après un bon nombre de chutes, de jurons et d’insultes lancées à l’égard de ces cyniques créatures, je finis par parvenir à mes fins : en me jetant en avant, je parvins à attraper l’une d’elle par les pattes arrières et m’empressai de la balancer dans la cage pour la ramener à Wolroof.

Mon retour à Wolroof ne fut pas non plus une partie de rigolade. Trempé jusqu’aux os, dégoulinant de vase, râlant, et transportant une crabouille qui semblait réellement ne plus pouvoir cesser de rire, je ne passais pas inaperçu… Au rire de l’animal, se joignirent bien vite ceux de nombreux élèves et de professeurs… La pire humiliation fut une fois arrivé au local des professeurs, quand je fus bien obligé de raconter ma mésaventure à mes collègues. Tandis que j’essorais ma chemise en pestant et en relatant ma pénible matinée, un des professeurs présent dans la salle eut la bonne idée de demander pourquoi ne pas, tout simplement, avoir ensorcelé la sale bestiole à l’aide de ma musique… Je me frappai le front de ma main, et déclarai que je n’y avais pas pensé. Je râlais d’avantage à présent, de ne pas avoir eu cette idée plus tôt, grâce à quoi je n’aurais même pas eu à plonger un seul orteil dans les eaux fangeuses du marais… Mes collègues se mirent à rire : « mais enfin, à quoi avais-tu la tête, Owen », demandèrent t’ils entre deux éclats de rire… Au même instant que la question fut posée la réponse me frappa comme un coup de poing… Ce à quoi j’avais la tête… était la même chose depuis plusieurs jours déjà… La même chose qui me torturait l’esprit nuit et jour, sans me laisser de répits depuis cetre matinée… ce jour ou je rencontrai Nileytina. Le souvenir de la ravissante sous-directrice de Wolroof empourpra d’avantage mes joues, ce qui fit redoubler les rires dans la salle…

A présent, j’avais retrouvé mon habituelle bonne humeur. J’étais aussi bien curieux et impatient de découvrir mon nouvel élève. Je ne l’avais encore jamais vu, et je ne connaissais de lui que son nom : Alphaïce Zadora. Jusqu’alors je m’étais toujours très bien entendu avec mes élèves, et même si ceux-ci c’étaient souvent amusés à me faire quelques farces pas bien méchantes, nous avions toujours gardé un très bon contact. Je n’avais jusqu’alors pas de raison de croire que cela se passerait différemment avec Alphaïce. J’avais capturé cette crabouille pour lui, pour son premier cours, et à présent je l’attendais dans l’impatience, comme à chaque fois qu’un nouvel élève m’était confié… Quand il poussa la porte du local, je l’accueillis comme il se doit :

-Ah, donc tu es le jeune Alphaïce, n’est-ce pas ? Bienvenu à toi, je suis vraiment ravi de te rencontrer ! J’espère que tu partage le même enthousiaste que moi à l’idée de suivre ton premier cours ! Tiens, tu vois la crabouille juste là ? Peux-tu m’en dire ses caractéristiques ? A ton avis, que va-t-on en faire ?

Cela faisait maintenant une semaine, plus ou moins, que j'étais arrivé à Wolroof. Je commençais à m'y faire, à cet endroit, à tel point que je me repérais presque déjà dans les couloirs sans problème. Aujourd'hui... était enfin le jour de mon premier cours. Je n'avais pas d'amis, ou plutôt je n'avais pas cherché à m'en faire, c'est pourquoi cela faisait depuis mon arrivée que je n'avais pas ouvert la bouche... ou presque. J'avais fait un cauchemar, la nuit passée, et j'avais réveillé tout mon dortoir avec mes hurlements... mais ce n'était qu'un détail. Ah oui, un type est venu m'engueuler parce que je l'avais réveillé, et cela aurait vite mal tourné sans l'intervention d'un professeur... décidément, les gens s'étaient passé le mot pour me pourrir la vie..... Pourquoi fallait-il que je tombe toujours sur des imbéciles ?
Enfin bon, j'étais là, maintenant, devant la porte du Local Expérimental. On m'avait donné le nom de mon professeur, M. Esday... héhé, je le plains, le pauvre, de se retrouver responsable d'Alphaïce... Je ne l'avais pas encore vu, mais je ressentais déjà, au fond de moi, là... je la ressentais, ma haine... On dit de ne pas juger sans avoir essayé, mais moi, c'était comme ça, je... ne le sentais pas. Toujours devant la porte, j'eus la sensation soudaine d'entendre des rires résonner dans ma tête... C'étaient les ombres, elles se moquaient de moi car je m'étais fais avoir, pauvre imbécile, j'étais en train de me débrouiller... pour redevenir un garçon comme les autres... et elles se moquaient. Je plaquai ma main gauche sur mon front, alors que ma main droite saisit par réflexe mon harmonica, dans ma poche. Lui, il était toujours là pour me soutenir, et pour m'éviter les ennuis... Alors je l'emmenais partout, et je n'hésitais pas à m'en servir, même contre les ombres... Sauf que, elles, elles n'ont pas d'oreilles... Elles n'entendent pas ma musique.

Après toutes ces réflexions complètement insensées et interminables, je revins enfin à moi. J'étais devant la porte d'un local dans lequel mon professeur devait sûrement être en train d'attendre... Tant pis pour lui, il attendra. Rien que pour cela, je restai encore un peu planté devant la porte, à ne rien faire... Mais je commençais à trouver le temps long... et je finis par la pousser, et entrer dans la pièce.

Il m'attendait. Dans une cage, à côté de lui, se trouvait un horrible batracien avec des dents, qui semblait trouver la situation drôle, alors que la situation fut très simple : l'élève et le professeur se fixaient, moi sceptique, lui j'en savais rien, mais en tout cas, on ne parlait pas. Puis, il m'accueillit, et son enthousiasme m'intrigua... Je n'étais qu'un pauvre type à qui il allait devoir enseigner des trucs. Alors, pourquoi... ? Pourquoi avait-il l'air si content de me voir ?

Tout cela me dépassait. Troublé, je n'en avais pourtant pas l'air, je devais avoir l'air aussi calme que d'habitude. Il me posa des questions, et moi, je n'avais aucune idée de la réponse. On ne m'avais jamais rien enseigné... mes parents ne m'avaient jamais rien enseigné... Je ne savais même pas ce qu'était une crabouille... J'avais honte. Je restai planté debout, je n'avais pas envie de m'asseoir, et je soupirai, passant ma main dans mes cheveux, l'air ennuyé.

-Ch'ais pas ce que c'est, moi, cette espèce d'horrible grenouille... Et ce que tu veux en faire... ça me regarde pas...

Je n'avais jamais vouvoyé personne, aussi je ne voyais pas l'intérêt de le faire pour lui en particulier...

Je cessai de sourire un instant, déconcentré par la réponse de mon élève. Cependant, il n’avait pas tord, il était nouveau ici, et peut être n’avait t’il pas grandi à Ravenner, et ignorait tout des monstres qui vivaient dans la lande. Me grattant l’arrière de la tête, je pris un sourire gêné :

-Ah, oui, excuse moi de précipiter les choses, il est vrai que tu es nouveau, pas étonnant que tu ne connaisses pas les crabouilles.

Je m’approchai de la cage de la crabouille, se tordant de rire devant mon air gêné. Je la regardai un instant, avant de reprendre :

-Essaie de bien retenir ce que je t’apprendrai aujourd’hui. La crabouille, est une créature qui vit dans le marais de la passeuse. Elle ne cesse jamais de rire, et quand elle rit de trop elle… explose… Comme tu as pu t’en apercevoir, elle est très laide et qui plus est stupide.

Sur ces mots, la crabouille se mit à rire de plus belle, confirmant apparemment ce que je venais de dire. Je soupirai et continuai.

-Elle ne sert quasiment à rien, si ce n’est pour insulter les gens que tu n’aimes pas. Imagine une seconde, pouvoir traiter la concierge de « Tronche de Crabouille » -et attention, je ne dis pas qu’il faut le faire-, et personnellement, je connais certains élèves qui mériteraient vraiment l’insulte de « Cervelle de Crabouille »… tu ne crois pas ? »

J’avais débité tout cela sans vraiment réfléchir. Dans la gêne, j’essayais surtout de le faire rire… Cependant, mes tentatives d’humour ne firent rire personne, hormis la crabouille, qui se tordait de rire dans sa cage, l’estomac à présent gonflé comme un ballon de baudruche. Je m’approchai de mon élève, afin de lui parler à voix basse, hors de portée des oreilles de la crabouille. Je désirais avant tout éviter de la faire rire d’avantage, au risque qu’elle explose…

-Bien, à présent, je vais te donner ton premier devoir : Je veux que tu penses à entre trois et cinq personnes que tu n'aimes pas, et que tu leur trouves à chacune une insulte avec le mot crabouille dedans… Ensuite, j’aimerais que tu les imagines, comme une crabouille, gonfler et puis exploser ! Moi, c’est toujours ce que je fais pour me détendre ! Ajoutai-je avec un clin d’œil.

J’espérais réellement détendre l’atmosphère, qui s’était subitement alourdie au moment où mon nouvel élève avait traversé la porte. Il ne paraissait pas comme les autres jeunes de son âge, et j’espérais réellement lui rendre le sourire… Je songeai seulement que j’espérais ne pas faire partie du lot des cinq personnes ayant droit de se faire transformer en crabouille dans l’imagination d’Alphaïce… J’ignorais s’il allait même faire l’exercice, probablement pas… mais au moins, j’aurais essayé…

Cette crabouille... elle était insupportable. Son... horrible rire... résonnait, fort, dans ma tête. Horrible. Je ne souhaitais qu'une chose, qu'elle se taise, qu'elle explose, tiens. Et l'autre, là, je le laissais parler... Je n'écoutais pas son charabia... ou presque. J'en avais entendu la fin. L'idiotie qu'il me demandait de faire.
Il avait quoi, en tête, celui-là ? Il cherchait à passer pour un imbécile ? En tout cas, c'était réussi, il était catégorisé au statut d'imbécile dans mon esprit... enfin je crois... Oui, c'était un idiot... plus un idiot qu'un imbécile.

Oh, il avait encore réussi à m'embrouiller ! Ça allait être sa fête, tiens !

Je ne l'avais pas regardé, depuis le début. Le regard fixé sur la chaise à côté de moi, je me mis à réciter, comme une poésie apprise par coeur, comme un texte que j'avais préparé...

"Mr Esday... Tu es aussi stupide que la crabouille."

Il y eut un grand silence. Ce silence me déstabilisa, c'est pourquoi je ne pus m'empêcher de lever mes yeux vers lui. Grave erreur. Lui, il me... regardait en souriant. Quel idiot ! Par réflexe, je ne pus m'empêcher d'afficher un air surpris, et je crois même que mes joues s'empourprèrent... un peu... J'étais fou de rage, réellement. Comment osait-il ?? Comment osait-il se moquer de moi ?! Mais... s'était-il moqué de moi... ? J'avais tout mélangé.

Sur un élan de colère, je me levai, renversant ma chaise au passage. J'empoignai mon sac et entrepris de me diriger vers la sortie, lui lançant quelques remarques à la figure.

-C'est quoi ça pour un cours ?? Je me casse !

Je quittai la pièce sans me retourner, et claquai la porte, le plus fort que je pouvais...